Machnouk franchit une ligne rouge… et ouvre une nouvelle voie

قالـوا عنه 08 يونيو 2016 0

scarlett-haddad

 

Ce qui se disait tout bas est devenu désormais une constatation évidente : non seulement le courant du Futur est affaibli, mais de plus, son chef, Saad Hariri, est dans une situation peu enviable.

Non seulement la crise financière de sa principale société Saudi Oger est devenue de notoriété publique, mais pour la première fois, des images d’actes de vandalisme commis par ses employés à l’intérieur du siège principal de la société à Riyad ont été diffusées sur la plupart des chaînes de télévision locales. Les élections municipales sont venues compléter cette image sombre pour le courant du Futur et son chef. Ce dernier avait tenté d’éviter le pire en prenant soin d’éviter les batailles électorales à travers un réseau d’alliances destiné à assurer le succès des listes qu’il parraine, pour ne les mener que lorsqu’il y était acculé ou sûr de les remporter. Ce fut le cas à Saïda par exemple, où sa liste a gagné tous les sièges du conseil municipal de la ville, mais en même temps, celle de son rival traditionnel Oussama Saad a obtenu, seule, 40 % des suffrages, puisque son allié Abdel Rahmane Bizri a préféré appuyer la liste Hariri. Dans l’Iqlim el-Kharroub, Saad Hariri a préféré laissé la liberté aux électeurs, évitant de s’impliquer dans la bataille, se rétractant ainsi par rapport à 2010. Dans la Békaa-Ouest, il s’est allié à son adversaire Abdel Rahim Mrad, et à Beyrouth, il a formé une large coalition pour éviter d’être battu… qui n’a finalement obtenu que près de 12 % des 20 % des voix des électeurs qui se sont rendus aux urnes.

Mais la vraie catastrophe a eu lieu à Tripoli où, en dépit d’une alliance de dernière minute, conclue sous le parrainage du Premier ministre Tammam Salam avec l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, il a dû s’incliner devant un « dissident » au sein de son courant, le ministre démissionnaire de la Justice, Achraf Rifi. Les analyses du scrutin de Tripoli se multiplient dans les médias, mais une chose est sûre, en plus du fait que le discours de Rifi plaît aux Tripolitains, foncièrement hostiles à tout ce qui leur rappelle la période de tutelle syrienne, il s’agit essentiellement d’un vote-sanction contre Saad Hariri et son style qualifié « d’arrogant » dans la gestion de ses relations avec les citoyens. Selon des experts du terrain tripolitain, les électeurs de cette ville n’ont pas compris pourquoi en 2011 Saad Hariri avait déclaré la guerre à Nagib Mikati devenu Premier ministre et accusé d’être un instrument entre les mains du Hezbollah (ils ont dû alors prendre les armes pour des affrontements internes qui ont duré près de trois ans), alors qu’en 2016, tout a été balayé et le même Mikati est devenu fréquentable, au point de se transformer en allié électoral.

Les déclarations du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, à la chaîne LBCI jeudi dernier sont venues en apparence enfoncer le clou. Mais une autre lecture peut être faite. En rejetant la responsabilité de l’affaiblissement du courant du Futur sur la politique saoudienne, M. Machnouk a peut-être rendu encore plus difficile la situation de Saad Hariri. Mais il lui a aussi ouvert une nouvelle voie. Certes, son image de leader prônant l’indépendance et la souveraineté (on se souvient du slogan de son bloc parlementaire : « Liban d’abord ») en a pris un sérieux coup et ensuite, les dirigeants saoudiens n’ont pas vu d’un bon œil ces accusations, s’empressant, directement ou non, de rappeler que le royaume saoudien n’intervient pas dans les affaires internes du Liban. Dans l’optique des Saoudiens, M. Machnouk a franchi une ligne rouge en impliquant directement le royaume dans les affaires libanaises et dans les déboires du courant du Futur. L’ambassadeur de Riyad à Beyrouth a même riposté en affirmant que son pays n’est pas un « défouloir » destiné à camoufler les échecs… Mais cela ne l’a pas empêché de recevoir le ministre de l’Intérieur pour un entretien de deux heures. Nouhad Machnouk a aussi eu un autre entretien de trois heures cette fois avec Saad Hariri pour expliquer ses dernières déclarations.

Le ministre de l’Intérieur – qui a une longue carrière derrière lui, d’abord en tant que journaliste, puis en tant que conseiller de l’ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri, avant de connaître une traversée du désert à la demande des autorités syriennes pour faire ensuite un come-back – s’est imposé dans les milieux du courant du Futur comme étant un « électron libre ». Il estime avoir une large marge de manœuvre par rapport à la ligne directrice de ce courant et il a toujours cherché à repousser les limites de la liberté de pensée et de ton au sein de ce courant. Dans son optique, ce courant est aujourd’hui en train de faire les frais de la politique saoudienne dans la région, qui, à un moment donné, voulait conclure un accord avec la Syrie (le fameux S-S) pour se partager les influences dans la région. Avec le déclenchement de la crise syrienne, la politique saoudienne a changé et Saad Hariri a dû suivre le mouvement, avec probablement plus de conviction. Mais il a été quand même le premier touché par la soudaine décision saoudienne de suspendre le don de trois milliards de dollars à l’armée libanaise. Il faut préciser à cet égard qu’il a tenté de garder une certaine marge de manœuvre concernant notamment les décisions du Conseil de coopération du Golfe sur le Hezbollah.

M. Machnouk a donc voulu clarifier ces points pour défendre Saad Hariri, considérant qu’il peut parler là où ce dernier est obligé de se taire. Il a voulu aussi ouvrir la voie à un déblocage interne, quitte à assumer seul les conséquences de ses propos. Saad Hariri saura-t-il saisir la perche que lui a tendue Nouhad Machnouk ? Ses proches annoncent son intention de prononcer plusieurs discours durant le mois de ramadan, dont le premier est attendu demain soir…