Les chrétiens sont les gardiens de la formule libanaise

مقابلات مكتوبة 11 يوليو 2009 0

Par Scarlett Haddad

Nohad Machnouk : « Je n’habite pas Beyrouth, je suis habité par elle. »

Élu député de Beyrouth (dans la seconde circonscription), Nohad Machnouk ne cache pas son grand amour pour la capitale, le seul endroit au monde où il se sent si bien. « Je n’habite pas Beyrouth, dit-il, je suis habité par elle. » Il a pourtant connu un exil forcé entre 1998 et 2003, lorsque les autorités syriennes ont demandé à Rafic Hariri de l’écarter, sous prétexte qu’il aurait des liens avec les services israéliens. Aujourd’hui, Machnouk rit de ces allégations et estime que c’était le seul motif qui pouvait pousser Rafic Hariri à accepter son éloignement. Selon lui, il s’agissait alors d’affaiblir Hariri face au nouveau président Émile Lahoud. Pourtant, l’ancien Premier ministre a exigé que Machnouk soit reçu par le tandem Ghazi Kanaan et Abdel Halim Khaddam pour effacer cette accusation, mais l’homme a quand même été contraint de quitter le pays. En 2000, il est autorisé à faire des séjours au Liban avant de rentrer définitivement en 2003, après une rencontre avec le président syrien Bachar el-Assad organisée par l’homme d’affaires Taha Mikati.
Depuis cette date, Nohad Machnouk s’est distingué par sa liberté d’esprit et sa pensée hors normes et hors des circuits traditionnels. En 2005, après l’assassinat de Rafic Hariri, qui avait beaucoup compté pour lui, il s’est remis à l’écriture, lui qui avait commencé sa carrière en tant que journaliste. Pour les besoins de ses articles, qui occupaient des pages entières dans les quotidiens, il prenait soin de rencontrer les différents protagonistes, Saad Hariri bien sûr, mais aussi le général Aoun, le Hezbollah, Nabih Berry, Walid Joumblatt etc. Il avait été ainsi le premier à alerter l’opinion publique sur le projet iranien dans la région et à appeler à un renforcement du rôle de la Turquie.
En 2006, il était par contre aux côtés du Hezbollah qui se battait contre Israël. Plus tard, avec le sit-in de l’opposition au centre-ville, il a décidé qu’il ne pouvait plus être neutre, estimant que, désormais, c’était le régime qui était menacé. Il s’est donc rapproché de Saad Hariri et c’est ainsi que ce dernier l’a nommé pour le siège sunnite de la seconde circonscription de Beyrouth. En principe, un compromis avait été conclu à Doha au sujet de cette circonscription, mais Nohad Machnouk révèle qu’il y a eu une véritable bataille électorale, et des 8 000 voix chiites de la circonscription, il n’a obtenu que 1 200, « celles de mes amis », précise-t-il. Selon lui, le Hezbollah a envoyé ainsi un message à Saad Hariri et à lui-même. Malgré tout, il se considère comme le député de tous les habitants de la capitale, et ses positions en flèche après les incidents de Aïcha Bakkar étaient destinées à faire de Beyrouth une ville sûre pour tout le monde, et il a insisté pour faire participer le député Hani Kobeïssi (Amal) aux discussions.
Nohad Machnouk dément avoir été imposé à Hariri par des parties régionales, parce qu’il se trouverait à un point d’intersection entre l’Égypte et l’Arabie saoudite. Selon lui, Saad Hariri avait déjà proposé son nom comme ministre dans le gouvernement Siniora, mais à la dernière minute, il a été remplacé par Khaled Kabbani. Il qualifie de très bonne sa relation avec Saad Hariri qu’il rencontre au moins une fois par semaine, mais il ne fait toutefois pas partie de son équipe.
Machnouk est un fervent défenseur de la formule libanaise qui fait du Liban « une lumière dans la nuit environnante ». Il est convaincu que la démocratie, la liberté et la possibilité pour quiconque de s’exprimer au Liban constituent la grande richesse de ce pays, une richesse due en grande partie aux chrétiens, qui y font toute la différence. C’est pourquoi il estime qu’après la formation du gouvernement, il faudra réfléchir en profondeur sur les moyens de redonner confiance aux chrétiens dans leur rôle, en renforçant peut-être les prérogatives du président de la République, « car la présidence reste et les leaderships s’en vont », dit-il.
Pourquoi ne pensait-il pas ainsi lorsqu’Émile Lahoud était à la présidence ? Machnouk répond : « En 2005, l’appui international et arabe à la tenue des législatives était dirigé contre la Syrie, et Émile Lahoud était le représentant de la politique syrienne au Liban. En 2009, l’appui international et arabe à la tenue des législatives est au contraire axé sur le dialogue avec la Syrie. Le climat général a donc changé. » Selon lui, le rôle des chrétiens est d’être le facteur d’équilibre et les gardiens de la formule. Or ils ont été placés dans une position qui ne leur convient pas : celle du défi, du refus et de la confrontation. Machnouk rejette toutefois la version selon laquelle il y aurait actuellement une réédition tacite de l’accord quadripartite entre Amal, le Hezbollah, le PSP et le Courant du futur. Il affirme que les chrétiens auront trois parts au gouvernement, celles de l’opposition, de la majorité et du président.
Selon lui, le gouvernement devrait être formé d’ici à un mois, le temps pour que les négociations qui se jouent sur deux volets, le premier régional et le second interne, puissent aboutir. Il ajoute que les Saoudiens mènent leurs négociations avec la Syrie sur la base suivante : de bonnes relations libano-syriennes sont importantes pour la stabilité du Liban. Mais, selon lui, Saad Hariri n’ira en Syrie qu’après la formation du gouvernement et le vote de confiance à la Chambre, « car, dit-il, il ne s’agit pas de rééditer l’expérience du passé ». Ira-t-il avec lui ? « J’irai peut-être avant », lance-t-il dans une boutade. Il déclare encore que les Syriens ont obtenu beaucoup d’avantages en ne se mêlant pas des affaires internes du Liban, ils ne vont pas tout remettre en question pour peser sur la formation du gouvernement. Au sujet du volet interne, les positions sont connues, mais il faudra trouver un compromis qui serait comme suit : pas de majorité ni de tiers de blocage, la part du président étant la garantie pour les deux camps.
Il insiste sur le fait que le Liban est important pour l’ensemble du monde arabe, parce qu’il est une exception dans la région, mais il a aussi les défauts de ses qualités, et à cause de son excès de liberté, il est aussi le centre le plus important d’expertise terroriste. En s’intéressant au Liban, les pays de la région se protègent eux-mêmes. C’est pourquoi, selon lui, le Liban est toujours tenu par le haut, même si la base est plus mouvante. Selon lui, l’intérêt de l’Arabie saoudite pour le Liban n’est nullement dicté par la volonté du royaume wahhabite de transformer ce pays en État sunnite, comme certains l’ont dit, en s’appuyant sur les élections législatives où dans certaines circonscriptions les voix sunnites ont été déterminantes. Il affirme ainsi que c’est parce que la lutte entre les chrétiens était forte que les voix sunnites ont été déterminantes. De même, il est injuste, selon lui, de prétendre, comme le font certains, que l’Arabie saoudite cherche à faciliter l’implantation des Palestiniens au Liban pour y augmenter le nombre de sunnites. Selon lui, le nombre des réfugiés est d’abord gonflé, ensuite personne ne veut les naturaliser. Il rappelle que c’est bien Rafic Hariri qui avait interdit aux Palestiniens de devenir propriétaires de biens fonciers au Liban. Lui-même avait alors jugé la décision raciste. Mais il s’est incliné parce qu’il s’agissait justement d’éviter une implantation de facto…
Il répète encore qu’il faut réfléchir tous ensemble sur les moyens de donner une immunité à la formule libanaise pour qu’il n’y ait pas de conflits tous les 20 ou 30 ans. Son regard erre sur une affiche du film The man who knew too much posée sur son bureau. « C’est un cadeau », s’empresse-t-il de préciser… qui en dit long sur sa propre personne.