À quel jeu joue donc Nouhad Machnouk ?

قالـوا عنه 06 يونيو 2016 0

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Une chose est sûre, le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk a réussi jeudi soir, dans le cadre de l’entretien télévisé accordé à Marcel Ghanem sur la LBCI, à susciter une véritable tempête dans le monde politique, relèvent les observateurs, qui tentent de s’expliquer cette sortie énigmatique.

Les déclarations du ministre de l’Intérieur sur le rôle de l’Arabie saoudite dans la visite du chef du courant du Futur Saad Hariri à Damas en 2010, et sur le rôle de Londres, de Washington et de Riyad dans la décision de M. Hariri d’appuyer la candidature de Sleiman Frangié à la présidence de la République ont soulevé un tollé aussi bien au Liban qu’à Riyad, et même à Téhéran.

C’est l’ambassadeur d’Arabie, Ali Awad Assiri, qui a réagi en premier en publiant un communiqué pour démentir les affirmations de M. Machnouk. L’ambassadeur d’Iran a suivi, assurant que son pays « n’intervient pas dans les affaires intérieures libanaises », le ministre ayant affirmé que c’est le conflit entre Riyad et Téhéran qui bloque la présidence au Liban.

Sur le plan politique interne, les propos de M. Machnouk ont provoqué une véritable onde de choc. Les milieux politiques, en effet, n’ont pas l’habitude d’une telle franchise dans l’approche, surtout que M. Machnouk lui-même est crédité de « bonnes relations » avec les dirigeants saoudiens, de par sa présence même au sein du courant du Futur.

Les propos du ministre de l’Intérieur ont été considérés comme « du pain béni » par certains milieux du 8 Mars qui n’en retiennent que l’ingérence directe des Saoudiens dans les affaires libanaises et le manque d’indépendance du chef du courant du Futur à l’égard des Saoudiens, alors qu’il passe son temps à reprocher au Hezbollah « son suivisme » à l’égard de l’Iran. Mais au-delà de la polémique, des questions de fond se posent : Nouhad Machnouk n’est certes pas un novice dans le monde politique et il a des relations qui s’étendent dans l’ensemble du monde arabe et même au-delà. S’il a donc décidé de tenir de tels propos, c’est qu’il y a auparavant longuement réfléchi et qu’il voulait consciemment faire passer un message précis. Lequel ?

C’est ce que cherchent à comprendre les milieux politiques dans leur diversité.

Solution à l’impasse présidentielle ?
En faisant assumer aux dirigeants saoudiens de l’époque (le roi Abdallah en particulier) la responsabilité de l’étonnante ouverture de Saad Hariri en direction de Bachar el-Assad, M. Machnouk a-t-il voulu faire le jeu d’un camp saoudien contre l’autre, ou bien s’est-il engouffré dans le fossé qui sépare désormais les dirigeants saoudiens des responsables américains ?

Profitant d’une présumée faiblesse saoudienne actuelle avec le piétinement de la guerre au Yémen, les difficultés de renverser le régime d’Assad en Syrie et le conflit ouvert avec Washington au sujet de la loi sur les événements du 11 septembre 2001, Machnouk aurait donc voulu dire tout haut ce que Saad Hariri ne peut que murmurer. Ce faisant, il s’est attiré la colère des Saoudiens, répercutée par le quotidien saoudien Okaz, qui traite M. Machnouk de « ministre du Hezbollah » au sein du gouvernement Salam et le soupçonne de se faire « le complice » de Wafic Safa, le coordonnateur des services de sécurité du parti chiite.

Mais M. Machnouk, assure-t-on, aurait pris le risque de s’exposer à ces réactions en flèche pour brouiller les cartes. Ce choc pourrait en effet donner à Saad Hariri une plus grande marge de manœuvre à l’égard des dirigeants saoudiens. D’autant que selon des sources proches du Futur, ceux-ci ne le tiennent pas en odeur de sainteté et n’auraient pas vu d’un mauvais œil la victoire du ministre démissionnaire Achraf Rifi à Tripoli et ils auraient même pu l’aider discrètement dans ce but.

En même temps, Nouhad Machnouk aurait tendu une perche à Saad Hariri en lui permettant de lâcher son appui à la candidature de Sleiman Frangié, devenue ainsi « une manœuvre occidentale et régionale ». De la sorte, il aurait indirectement ouvert la voie à une solution à l’impasse présidentielle. Il faut à ce stade souligner le fait que le chef du courant du Futur a refusé de commenter les propos de M. Machnouk, même si, par souci tactique, des milieux proches du Futur affirment qu’il n’était pas « très satisfait » de ce qui a été considéré comme des attaques contre les dirigeants saoudiens.

De leur côté, les médias saoudiens ont vivement critiqué les propos de Nouhad Machnouk, mais pas au point de désavouer totalement ce dernier, alors que les deux candidats déclarés à la présidence, le général Michel Aoun et l’ancien ministre Sleiman Frangié, ont gardé un silence prudent. M. Machnouk a donc réussi son coup : faire bouger la scène politique, vers un déblocage ou vers plus de divisions, c’est ce qui reste à préciser.